Docteur Maindet, nous vous avions déjà interviewée en mai 2017 sur la fibromyalgie, pourriez-vous nous re-préciser votre rôle au sein du CHU de Grenoble ?
Je suis praticien hospitalier au centre de la douleur du CHU de Grenoble Alpes (CHUGA) et présidente du CLUD, Comité de Lutte contre la Douleur. Historiquement, je suis médecin du sport. D’ailleurs, je continue à exercer cette activité. Mon rôle est de remettre les patients en mouvement aussi bien au niveau physique que psychique.
Je me suis intéressée à la fibromyalgie initialement car je travaillais dans le même service que le Dr Anne Dumolard. Anne Dumolard est LA grande spécialiste de la fibromyalgie de la région Rhône-Alpes.
A une époque, elle a quitté le CHUGA, j’ai repris sa patientèle. Je me suis donc intéressé à la fibromyalgie. Je suis affiliée à l’équipe ThEMAS (Techniques pour l’Évaluation et la Modélisation des Actions de la Santé) appartenant au laboratoire TIMC-IMAG. Il s’agit d’une unité de recherche INSERM qui s’intéresse aux prises en charge globales et multiples avec les patients. C’est dans ce cadre que je participe à beaucoup d’études sur les approches non médicamenteuses. Cette thématique de recherche me passionne.
En tant que spécialiste de la douleur :
Pourriez-vous rapidement nous rappeler ce qu’est la fibromyalgie ?
Un rapport récent publié et diffusé par l’INSERM (09/10/20), détaille avec précisions ce qu’est la fibromyalgie. Ce rapport relate une expérience collective qui reprend toutes les recommandations et tout l’état des lieux sur la fibromyalgie. Il est extrêmement intéressant et détaillé. Pour faire simple, et on l’oublie souvent, la fibromyalgie est un syndrome et non une maladie. Elle est définie comme un syndrome douloureux chronique.
Dans un premier temps, on parlait de points douloureux relativement à la fibromyalgie, premiers critères donnés par l’American College of Rhumatology en 1990. Il fallait ainsi que les personnes présentent plus de 11 et 19 points douloureux. Ensuite, dans les autres classifications de 2010 de l’American College, on parlait déjà de “zones”, avec des zones plus larges. Le critère de 2016 conserve cette notion de zone mais entre 4 et 5 parties du corps doivent également touchées.
La fibromyalgie est donc un syndrome douloureux chronique qui a comme caractéristiques principales des douleurs migratrices, d’intensité fluctuante et plutôt musculo tendineuses.
Les douleurs de la fibromyalgie sont nociplastiques. L’association de toutes ces douleurs génère un score qui s’appelle le WPI auquel on associe l’existence des autres symptômes : la fatigue, les troubles de sommeil, les symptômes cognitifs et les symptômes généraux que l’on côte tous de 0 à 3. L’ensemble de tous ces points font un score qui définit la fibromyalgie.
Ce qui est intéressant dans cette nouvelle définition datant de 2010 c’est qu’il ne s’agit plus uniquement d’un syndrome douloureux chronique. La fatigue, les troubles du sommeil et les symptômes cognitifs font partie du diagnostic. Ce qui est évidemment plus révélateur de la réalité quotidienne de nos patients. Nos patients se plaignent de douleurs mais avec le temps, c’est la fatigue qui devient vraiment insupportable pour eux. Il est donc capital de la faire entrer dans le diagnostic.
Contrairement à ce que pensent les personnes, à l’idée que peuvent s’en faire les patients, le syndrome fibromyalgique est reconnu par l’Académie de Médecine et par les sociétés savantes. L’existence de la fibromyalgie n’est donc plus remise en cause.
Quel est le profil « type » d’une personne atteinte par ce syndrome ?
En étant schématique, la fibromyalgie touche plutôt les femmes que les hommes. Dans 8 cas sur 10, le syndrome est féminin. Le grand pic se situe essentiellement autour de la quatrième décennie. Mais cela peut toucher tous les âges.
Vous nous l’aviez décrit en 2017 comme difficile à diagnostiquer. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ? Pour quelles raisons ?
Dans les dernières recommandations de l’Inserm, on demande à ce que les médecins généralistes et les praticiens utilisent des questionnaires de dépistage comme le questionnaire de dépistage FiRST réalisé par le Dr Perrot. Avec les critères 2016 de diagnostic de la fibromyalgie il n’y a pas de problèmes pour la diagnostiquer. La vraie question qui reste compliquée pour les patients, les soignants et les médecins de manière générale est l’absence de marqueurs. Nous n’avons aucun examen à notre disposition prouvant que les patients sont atteints de fibromyalgie.
Vers qui se tourner lorsque les premiers symptômes apparaissent ?
Si les médecins traitants, rhumatologues ou neurologues sont bien formés, il n’y a pas besoin de faire appel à un avis spécialisé. En revanche s’il y a des doutes sur le diagnostic ou une difficulté de prise en charge, les centres de la douleur sont vraiment un recours intéressant.
La fibromyalgie entraîne un nomadisme important du fait de ses multiples symptômes comment optimiser la prise en charge des patients ?
Quand vous regardez l’échelle des symptômes, c’est l’ensemble de la médecine qui est touchée. Les médecins peuvent donc avoir du mal à faire la part des choses. On ne devient pas fibromyalgique du jour au lendemain. Il y a des facteurs prédisposants, des facteurs pérennisants, des facteurs précipitants et c’est un continuum. Il faut insister sur cette continuité car les patients soulèvent souvent un retard au diagnostic. Mais en fin de compte, c’est en reprenant l’histoire du patient que l’on peut dire qu’il est atteint du syndrome.
Le premier fondamental de la prise en charge est donc de poser le diagnostic pour éviter la consommation de médicaments inadaptés et le nomadisme. Il faut en informer le patient et organiser la prise en charge ensuite. La seule limite que l’on a aujourd’hui sur la prise en charge après diagnostic est qu’a priori, dans le rapport de l’Inserm, il est plutôt conseillé de rester sur un diagnostic de douleurs chroniques chez l’enfant et l’adolescent en lieu et place d’un diagnostic de fibromyalgie.
Concernant la prise en charge, les recommandations de L’EULAR (Ligue européenne contre les rhumatismes) étaient très claires et le rapport de l’Inserm l’est encore davantage. Il faut une prise en charge personnalisée, adaptée au patient et à son contexte de vie et il faut, dans un premier temps, favoriser les approches non-médicamenteuses. Il s’agit de la première ligne de conduite dans la prise en charge, qui doit évidemment être multimodale.
Au sein de cette approche globale non-médicamenteuse, la seule qui a démontré son efficacité à un niveau de grade A, est l’activité physique adaptée. Si cette prise en charge non médicamenteuse qui regroupe l’éducation thérapeutique et l’activité physique adaptée, est insuffisante, on doit mettre en place des prises en charges utilisant les médicaments.
Dans les prises en charges médicamenteuses, on utilise des antalgiques pour la douleur, des somnifères pour le sommeil et des antidépresseurs pour le retentissement mais aucun médicament ne permet de venir à bout de la fibromyalgie. Il y a des effets indésirables multiples comme dans tous les traitements. J’utilise personnellement des approches médicamenteuses mais ce n’est pas le fer de lance de cette prise en charge. La voie non médicamenteuse est la voie à emprunter au maximum.
Vous avez participé à deux études cliniques sur « fibromyalgine ». Dans l’étude « FIBRALGIC » 2016-2020 vous avez démontré que la prise continue de « fibromyalgine » pendant 6 mois permettait aux patients de réduire significativement leur consommation d’anti-douleur et de somnifère. Dans l’étude « FIBRA » publiée en 2009, vous avez montré que « fibromyalgine » améliorait la qualité de vie des patients atteints de fibromyalgie en réduisant significativement la fatigue. Pour vous, quelle est l’importance du traitement de la fatigue ?
Les patientes viennent nous consulter parce qu’elles sont douloureuses, fatiguées et qu’elles n’arrivent pas à gérer leur quotidien. Et notre réponse, de manière caricaturale, est que le seul traitement efficace est de faire du sport. La fatigue est au premier plan, le sommeil est non réparateur tout comme la sieste. Il faut être clair, nous n’avons aucun traitement médicamenteux efficace pour la fatigue. Et c’est-là la porte d’entrée à de nombreuses commandes sur internet de produits divers et variés qui ne sont pas tout à fait validés. La fatigue est fondamentale, une fatigue qui est également psychique avec une sorte de fiber-FROG, une impression d’être dans un brouillard avec des difficultés d’acquisition et d’apprentissage chez les jeunes notamment.
Comment faire comprendre ce syndrome à l’entourage ?
Si l’on reprend l’historique de la prise en charge de la douleur, initialement on parlait de douleur par hyper nociception, c’est-à-dire avoir trop de simulations douloureuses. Dans les autres mécanismes on parlait de douleurs neuropathiques qui existent toujours, une lésion du système somato-sensorielle.
Maintenant, la troisième source de douleur, la douleur nociplastique, a remplacé la douleur fonctionnelle. Elle est très intéressante car il s’agit d’une altération de la modulation du système douloureux. Je pense vraiment que les patients le comprennent bien quand on leur explique que toute leur perception normalement non douloureuse devient douloureuse.
Pour illustrer cela, certains patients nous disent que même les câlins leur font mal, le fait d’effleurer, de toucher, est douloureux. Comment expliquer cela à l’entourage ? Ce n’est pas évident car cela survient sur une histoire de vie qui n’est généralement pas simple. On a une population non négligeable dans nos patients douloureux chroniques qui ont subi des violences dans l’enfance et qui ont ensuite eu des surmenages professionnels puis des épisodes traumatiques. De ce fait, la perception de la douleur est majorée.
La grande difficulté pour les patients est aussi de faire la part des choses. Ils peuvent être perçus comme dépressifs alors qu’ils n’ont simplement pas l’énergie pour faire les choses, à l’inverse de la dépression caractérisée par une non-envie de faire. C’est très différent.
J’ai lu que vous lanciez une étude sur les bénéfices d’une activité physique adaptée avec un vélo à assistance électrique pour les patients atteints de fibromyalgie. Pourriez-vous nous décrire cette étude ?
Cela fait une dizaine d’années que toutes les patientes fibromyalgiques ont une épreuve d’effort en médecine de l’exercice. Cela permet de mettre en avant leur compétence physique et notamment leur V02 max, comme chez un sportif standard. Suite à cela, nous avons une prise en charge qui évolue depuis une dizaine d’années dans laquelle, si les patients présentent un déconditionnement à l’effort, on les réentraîne selon un protocole de prise en charge en hôpital de jour sur 12 semaines : on les fait venir trois fois par semaine. Ils ont donc au total 36 semaines de réadaptation à l’effort.
Il s’agit d’un protocole très ancien qui a fait l’objet de nombreuses publications et qui a prouvé et prouve encore son efficacité. Mais comme pour tous les programmes de réadaptation à l’effort, il est très compliqué de garder le bénéfice dans la vie courante. Tous autant que l’on est, si nous allons trois fois par semaine dans une salle de sport ou de rééducation, on fait notre activité physique. Mais au quotidien, tout est plus compliqué à cause de la fatigue, des horaires de travail, des tâches à assumer… Donc nous avons mis en place un protocole pour des patients fibromyalgiques au cours duquel nous organisons des sorties en vélo à assistance électrique. Ce protocole appelé « FIBROVÉLICE » a plusieurs objectifs : remettre les patients dans le mouvement et leur faire faire une activité physique adaptée ET recréer du lien social, leur redonner un sentiment d’efficacité personnel. Pouvoir faire une ou deux heures de vélo avec sa famille, son mari, sa femme, ses enfants… est quelque chose de très important.
Nous avons inclus un groupe de patients et il y a une randomisation impliquant qu’une partie des inclus pédale maintenant et l’autre partie pédalera dans six mois. Cela nous permettra de comparer l’effet de ceux qui ont bénéficié de la prise en charge immédiate et celui d’une prise en charge à distance.
Il s’agit finalement de l’évaluation du service médical rendu en atelier ambulatoire combinant la réhabilitation et l’éducation thérapeutique utilisant un vélo intelligent pour la santé. L’objectif, je l’ai dit, est la réhabilitation à l’effort et l’amélioration de la qualité de vie des patients atteints de fibromyalgie modérée. Nous voulons donc améliorer la qualité de vie plus que diminuer la douleur.
Vous agissez aussi bien sur la psychique que sur le lien social finalement ?
C’est pour cela que l’on pense vraiment qu’il faut étudier la qualité de vie. Nous aimerions démontrer que la fatigue diminue avec un score de Pichot. Les patients le disent, ils veulent améliorer leur qualité de vie plus que réduire leurs douleurs chroniques.
Quelle est la durée de cette étude ?
L’étude sera menée sur 36 mois. Nous souhaitons inclure 56 patients pendant 12 mois : 8 semaines de traitement et le suivre pendant 18 mois car nous voulons savoir, par le biais du protocole d’activité physique, de savoir s’il y a un maintien de l’effet dans le temps. Suivre les patients sur le long terme est donc intéressant pour observer s’ils maintiennent une activité physique, s’ils ont acheté des vélos, s’ils continuent à mettre en place ce qu’ils ont déjà appris…
« FIBROVÉLICE » est menée uniquement sur le CHU de Grenoble ou est-ce une étude multicentrique ?
Dans un premier temps cette étude est monocentrique pour une raison simple : les vélos sont assez chers. Si le protocole prouve son efficacité à Grenoble, nous aimerions lancer une étude multicentrique dans les mois ou années à venir.
Aux côtés de « FIBROVÉLICE », nous avons également une étude en attente de publication de résultats mais qui est aussi intéressante pour les patients pour la prise en charge globale. Cette étude multicentrique nommée « Thermalgie » porte sur la cure thermale et inclut 220 patients. Nous avons enfin une autre étude en cours, « ELISAD ». Il s’agit d’une approche non médicamenteuse proposée aux patients par le biais du Tai Chi, de l’autohypnose, de la méditation, de l’activité physique et de la slackline. Nous demandons ainsi aux patients de choisir l’une de ces cinq activités et nous observons après deux mois de prise en charge et d’un suivi M3 et M6 s’il y a une diminution de la douleur et une amélioration de la qualité de vie. Nous sommes là encore sur une approche non médicamenteuse, approche que je trouve la plus pertinente dans le cadre de la fibromyalgie même s’il est évident que toutes les approches médicamenteuses ne sont pas à jeter. Les antalgiques sont d’une grande aide pour diminuer les douleurs, les antidépresseurs ont une vraie utilité dans la lutte contre la douleur nociplastique. A contrario, la morphine n’a pas sa place dans la prise en charge de la fibromyalgie. Le mot de la fin serait donc que la prise en charge de la fibromyalgie est avant tout non médicamenteuse mais que les approches médicamenteuses viennent soulager certains symptômes lorsque leur gestion devient insurmontable. Dans l’avenir, je l’espère, des propositions seront faites aux patients pour mieux gérer la fatigue, sous forme de compléments alimentaires notamment.